L’étude dont les résultats ont été publiés en 2021 dans une revue scientifique canadienne (voir référence à la fin du présent article) évalue l’efficacité de mesures de prévention du déclin fonctionnel. Pour cela, un groupe de personnes âgées de 75 ans et plus a bénéficié d’une évaluation gériatrique globale réalisée par un médecin dument formé, évaluation sur la base de laquelle le médecin a recommandé des mesures de prévention scientifiquement fondées. Le groupe de contrôle a quant à lui bénéficié de la prise en charge médicale habituelle.
Les résultats observés
Deux ans plus tard, près d’un sujet sur deux, dans les deux groupes, a perdu son indépendance dans au moins une activité instrumentale de la vie quotidienne telle que faire les courses, préparer à manger, faire le ménage, utiliser le téléphone, utiliser les transports, gérer sa médication, gérer ses finances, ou faire la lessive. Ainsi, la méthode préventive ne s’est pas révélée plus efficace sur le ralentissement du déclin fonctionnel que la poursuite de la prise en charge médicale habituelle.
Ces constatations semblent à première vue décevantes, remettant en cause la possibilité de prévenir efficacement à cet âge le déclin fonctionnel[1] par un dépistage proactif des facteurs de vulnérabilité. Pourtant, l’équipe de recherche a mis à la disposition des médecins généralistes – qui sont les principaux contacts des personnes âgées avec le système de santé, souvent les seuls quand ces personnes sont encore assez robustes – un instrument de repérage des risques basé sur une conception fonctionnelle de la santé largement utilisable dans leur pratique quotidienne. C’est louable car ce sont bien les capacités physiques, mentales et sociales des individus et pas seulement les maladies qui doivent être visées par les interventions de santé. Dès lors, pourquoi les résultats observés ne sont-ils pas à la hauteur de cette ambition?
La nécessité d’un processus continu
Les actions d’accompagnement et de soutien à mettre en place pour maintenir le plus possible une autonomie restante doivent s’inscrire dans un processus continu, où l’évolution de nouveaux besoins de la personne et de ses proches est régulièrement observée et les modalités d’accompagnement ajustées. Or, l’étude mentionne que seulement deux tiers des patient·e·s ayant eu une évaluation sont réévalué·e·s. De plus, les recommandations découlant de l’évaluation ne sont mises en œuvre qu’une fois sur trois.
La plus-value d’une prise en charge pluridisciplinaire
Les médecins formés à l’évaluation ne semblent pas avoir plus de pratique collaborative que les médecins du groupe de contrôle: ils n’ont, par exemple, pas plus de contacts avec les services de soins à domicile ou les proches des patient·e·s.
Répondre aux besoins de la personne âgée en perte d’autonomie ne peut être mono-professionnelle mais exige une démarche pluridisciplinaire visant à construire un plan d’intervention coordonné et intégré. Or, les évaluations réalisées par les médecins dans le cadre de cette étude ne s’inscrivent pas explicitement dans une mise en lien des intervenants autour d’un objectif partagé, formalisé dans un plan personnalisé de santé et répondant aux risques identifiés. Ainsi, le médecin de premier recours prescrira les soins ou l’aide jugés nécessaires et dans le meilleur des cas prendra contact avec les différents intervenants disponibles dans le système de santé, chacun agissant dans des environnements qui leur sont propres, avec le risque de fragmentation des soins inhérent à notre système de santé. Une telle approche, comme le montre bien l’étude, est inefficace pour prévenir les hospitalisations ou l’institutionnalisation prématurée. D’ailleurs, la restriction de l’analyse aux sujets pris en charge par des médecins qui adhèrent et mettent en place les recommandations découlant de l’évaluation ne modifient pas les résultats.
La force d’une prise en charge globale axée sur la prévention
Le moteur du bien-vivre l’avancée en âge, c’est une prévention globale, c’est à dire ciblant les risques médicaux, sociaux mais aussi environnementaux, s’appuyant sur la pluridisciplinarité des acteurs de proximité et développant une culture de l’autonomie tout au long du parcours de vie.
Expert dans l’accompagnement de la personne âgée, riche de ses compétences multidisciplinaires, mais aussi de ses liens avec les organismes communautaires et de bénévoles, disposant de larges données sur l’état de santé des personnes prises en charge, le dispositif de l’AVASAD constitue un moyen puissant pour relever le défi du bien-vieillir. Le dispositif fait travailler ensemble près de 1’500 infirmier·ère·s, 1’600 auxiliaires de soins ou d’aide, 130 ergothérapeutes, 130 travailleuses et travailleurs sociaux et 25 diététicien·ne·s.
Actuellement, 45% des personnes très âgées prises en charge par les centres médico-sociaux (CMS) du dispositif de l’AVASAD ont maintenu leur capacité fonctionnelle dans toutes les activités de base. Le trait majeur de la grande vieillesse reste néanmoins une période de fragilité plus ou moins longue avant que le déclin physique ne s’accélère. L’anticiper en encourageant des comportements favorables à la santé tout au long de la vie, prévenir les pertes d’autonomie évitables au moment d’une maladie mais aussi de toute situation de rupture, accompagner les incapacités en s’appuyant sur les capacités restantes de l’individu et son environnement, tout cela dans une démarche de développement durable, nécessite un changement de paradigme: évoluer d’un service délivrant des prestations d’aide et de soins vers un véritable système de santé communautaire. C’est bien l’ambition inscrite dans le plan stratégique 2020-2025 du dispositif de l’AVASAD.
Dre Patricia Halfon
FMH médecine interne générale
Médecin conseil AVASAD
Référence:
Mueller, Y., Schwarz, J., Monod, S., Locatelli, I., & Senn, N. (2021). Use of standardized brief geriatric evaluation compared with routine care in general practice for preventing functional decline: a pragmatic cluster-randomized trial. CMAJ, 193(33), E1289-E1299.
Liens utiles:
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